Chapitre 10

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Nana descendit dans le hangar de la barge de guerre à toute vitesse, les claquements de ses ailes résonnant dans les couloirs métalliques. El déboula et découvrit l’endroit vide. “Vélinel”, la grande domination était partie pour le royaume de Hod. Satanachia avait besoin d’el là-bas. Quand el se réveillerai, el serait un nouvel éloha, rusé, brutal…

… insupportable.

Nana sonda l’obscurité du hangar. Dans les coins sombres restaient des cuves de sang d’Adam, rouge et enivrant. Nana s’en approcha, la bouche ouverte, le souffle court. Mais un bruit métallique résonna derrière el. El s’interrompit.

— Maître Nathaniel ?

Nana se retourna. Xeirel, un command’aile de la Milice de la Vengeance, était là, revêtant son armure rouge complète. 

— Nous approchons la cible, dit le soldat. 

Nana l’assassinat du regard. 

— Oui, c’est bien. J’arrive. 

Xeirel retira son casque. Nana vit son visage blafard, strié de veines rouges, ses yeux affamés. El observa à son tour les cuves de sang. 

— À l’armurerie, milicien, ordonna Nana. 

— Nous aurons besoin de notre dose pour le combat, avertit Xeirel. Sinon…

— Nous ne sommes pas sûrs que la force sera nécessaire, répondit Nana. 

Xeirel grommela, secoua la tête en désapprobation. 

— La milice de la Vengeance a soif de combat, pas de blabla, avertit Xeirel. 

— On ne résout pas toutes les situations en tapant sur les autres ! s’empota Nana. Et puis cesse de lorgner mes cuves ! Elles sont à moi. 

Xeirel se crispa. Nana ne perdit pas plus de temps et leva ses mains, faisant venir le sang d’Adam à el. D’un coup de griffe, el perça sa propre peau pâle et le liquide visqueux entra dans ses veines, le nourrissant d’un ignoble pouvoir. Un flash, porteur de souvenirs cataclysmiques, tonna dans l’esprit de Nana. Une mer d’élohim déchainés, des flots rouges, la fureur des oracles-guerriers. La vertu se cambra, tendit le bras. Le sang obéit au sang. Le soldat devant el ploya le genou. Nana le poussa à se relever et l’entraina avec el hors du hangar. 

En avançant dans les couloirs, Nana fit bouillir le sang des miliciens, qui n’eurent d’autre choix que de lui obéir pour échapper à la souffrance. Els se dirigèrent dans l’armurerie, pour s’équiper. Là, des chérubins installèrent armes et armures sur leurs corps colossaux, puissants et meurtris à la fois. Les chants rituels résonnèrent, graves, menaçants. Puis les chants guerriers, affamés de sang. La fureur couvait. Il fallait la contrôler. Nana tissa un filet de sang, qui s’extirpa de ses veines pour se répandre dans tout le vaisseau. Le liquide rouge entra dans leurs veines par des ports installés sur leurs corps. Les alimentant de quelques gouttes, suffisamment pour les soumettre. Ainsi, Nana calma le bouillonnement, tant bien que mal. 

Volant à toute vitesse, la vertu de Géhenna arriva dans la salle stratégique du vaisseau. Les forces de la Vengeance étaient réunies autour d’un grand hologramme rouge. Ce dernier affichait une flottille de vaisseaux élohiens, avançant dans le cosmos de Malkouth. Selon les rapports des vertus-analystes, els quittaient le système de Sicad pour rejoindre celui d’Oméga. Dans ces vaisseaux de voyage civil, on décomptait plusieurs centaines de millions d’enfants, d’azohim et de séraphins spécifiquement. 

— Ces vaisseaux ressemblent à des modèles kéthériens, remarqua un des analystes. Ceux qui servent d’habitude à transporter des pèlerins. 

— C’est la flotte de l’évêque Burrhus, reconnut Nana. 

— Pourquoi ce ne sont pas les vaisseaux de l’archange Pomiel qui transportent son peuple ? 

— Ce n’est pas Pomiel qui a ordonné l’évacuation, dit Nana, informé par Vélinel. 

— Que doit-on faire ? 

— Établissez le contact. 

— Nous avons essayé. Pas de réponse…

La frimousse de Nana frémit. Les miliciens s’agitèrent. 

— Persévérez, ordonna la vertu. 

— Que dit le modèle prédictif ? demanda Xeirel. Vont-ils coopérer ? 

Nana leva le bras, pour le faire taire. El se connecta au réseau EL et envoya un message aux sicadiens :

— Nous sommes la Milice de la Vengeance. Nous chassons les ténèbres jusque dans les recoins les plus lointains des royaumes célestes. Vous êtes sur notre terrain de chasse. Identifiez-vous. 

Les miliciens attendirent quelques minutes en silence, dans le cliquetis des machines de la salle stratégique. Au bout d’un moment, els reçurent une réponse…étrange.

— Venez… venez donc… J’ai quelqu’un à vous confier…

Le message était brouillé de grésillements, perturbé. 

— Qui êtes-vous ? demanda Nana. 

— Burrhus ? demanda Xeirel. 

Nana leva les yeux au ciel. Les analystes révélèrent alors :

— Ce n’est pas un éloha. Il n’y a pas de signature lumineuse.

— Identifiez-vous, azoha, appela alors Nana. 

— AH ! ENFOIRÉ ! hurla l’azoha à l’autre bout du fil, s’adressant probablement à quelqu’un d’autre à bord de son propre vaisseau. JE VAIS TE TUER ! 

Puis la communication se coupa. 

— Bon, fit Nana en se raclant la gorge. Eh bien… Préparez-vous à l’abordage. 

Un contingent de la Milice de la Vengeance se rassembla sur le pont d’amarrage de la barge de guerre et prirent place dans des vaisseaux d’intervention. Ces derniers furent violemment propulsés dans le cosmos, en direction de la flotte des sicadiens. Nana mena l’assaut el-même.

— Impact dans trois, deux, un.

Dans un fracas destructeur, les vaisseaux de la Vengeance pénétrèrent la coque de cristal du vaisseau amiral des sicadiens. Les soldats en sortirent et immédiatement, une nuée de séraphins se jetèrent sur els. Le massacre commença. Les soldats sortirent leurs épées et leurs blasters, affrontant les flammes. “Pour l’Oracle !” hurlèrent-t-els. “Hérétiques” ! Nana tissa sur ses guerriers des thaumaturgies de renforcement. Le combat s’éleva dans les airs. Bientôt une pluie de sang doré gicla de toutes parts. Une alarme résonna. Le hangar se verrouilla. Les miliciens firent leur travail. Bientôt, plus aucun séraphin ne subsista. 

— Els pensent pouvoir nous arrêter, ricana Xeirel. 

Nana sortit un petit œuf d’une des poches attachées à sa ceinture. El le lança sur une des portes du hangar. Les soldats reculèrent. Nana fit un geste de la main. Son halo pulsa et soudain :

CLASH !

La porte de cristal, conçue pour résister à des assauts démoniaques, éclata en morceaux. Les miliciens franchirent le pas et envahirent les ponts supérieurs. D’autres nuées de séraphins fondirent sur els. Mais aucun d’entre els n’étaient de véritables guerriers. 

“Pour l’Oracle ! Pour l’Ordre !” rugirent les miliciens. 

Au fur et à mesure de leur progression, les miliciens rencontrèrent de plus en plus de résistance. Des séraphins plus gros débarquèrent. L’une des puissances de la vengeance se retrouva acculée, prise entre deux colosses. Les flammes prirent sur son armure rouge, le transformant en torche élohienne. Nana grimaça. Le sang des miliciens bouillonna. La vertu de Géhenna resserra son filet, voyant ce qui allait venir. 

— Retenez votre frère ! hurla Nana.

Le milicien enflammé, aux portes de la mort, se transforma. El se pencha en avant, dans une posture primale. Ses veines se gonflèrent sous son armure alors que la Rage s’installait en el. El retira sauvagement son casque, révélant ses yeux rouges et sa gueule béante, crocs dehors. Le soldat rugit, faisant vibrer l’air gorgé de violence. Le soldat n’était plus el-même. Nana sut que son esprit n’était plus dans le présent. El revivait un passé lointain, qu’el n’avait pourtant pas connu, mais qui était gravé dans sa graine. Le soldat se revoyait debout, devant la porte d’Orion, faite d’or massif, qui séparait le Royaume de Tiphéreth de la route de la Haute-Prêtresse. El regardait son primordieu bien aimé, l’Ordre des Astres, aux longs cheveux azur, être pourfendu par la lame de l’abominable Psychopompe, à la crinière de nuit. 

Les frontières entre passé et présent s’estompèrent. La puissance cru qu’el était à cet évènement de la Seconde Brisure, qu’el était un éléite, combattant jusqu'à la mort, et que tous devant el étaient des hérétiques, des traîtres qui devaient être détruits. Son esprit, emporté par la colère et le désespoir, abandonna toute rationalité.

— JE SUIS LA VENGEANCE ! hurla la puissance. 

Le soldat ouvrit grand sa gueule et mordit alors le premier séraphin qui se tenait devant el. Gorgé de folie, le milicien commença à dévorer vivant son ennemi. L’horreur frappa les séraphins, affaiblissant leur résolve. Les miliciens de la Vengeance n’en firent alors qu’une bouchée. Le sol se retrouva couvert des cadavres des serpents ailés. Nana quant à el, dû redoubler d’efforts pour contenir le soldat enragé. Sans ennemi à portée, el était sur le point de se retourner contre ses propres frères. 

— Rendez-vous ! Et vous serez épargnés ! s’écria Nana, s’adressant aux passagers du vaisseau, azohim et enfants, tout en ayant conscience de ne pas être très convaincant. 

— … M’entendez… entendez-vous ? résonna alors une voix grésillante dans le réseau EL. 

— Azoha ? Identifiez-vous, ordonna Nana. 

— Émer…sande…

L’esprit analytique de Nana se mit en branle. Dans toutes les données qu’el avait absorbées, el retrouva ce nom. C’était celui d’une des épouses de l’ange Miel de Sicad. 

— Votre époux est-el avec vous ? demanda directement Nana. 

— Oui.

— Et l’évêque Burrhus ?

— El n’est pas à bord. 

Nana fit une moue contrite, mais pas étonnée. 

— Je vous propose un marché, dit alors l’azoha. Vous nous laissez tranquilles, en échange de quoi je vous livre mon stupide époux. 

Xeirel ricana. 

— Nous n’avons pas besoin de faire un quelconque marché, rugit-el. Notre victoire est assurée !

— Vos puissances ont de toutes évidence quelque chose qui cloche, dit l’azoha, ça pourrait déraper… Voulez-vous vraiment tuer des azohim et des enfants ?

Nana sourit. L’azoha était maligne. 

— Soit. Marché conclut. 

— C’est un piège, avertit Xeirel.

— Pas selon le modèle prédictif, rétorqua Nana. 

Xeirel grogna. Les miliciens de la Vengeance progressèrent vers un lieu de rendez-vous, situé dans les quartiers des passagers. Els entrèrent sans résistance et découvrirent une marée d’azohim et d’enfants terrifiés. En voyant les soldats, els pleurèrent et gémirent. Nana monta dans la suite de l’archange Miel, richement décorée d’améthyste et de soie. Mais la beauté de l’endroit était souillée de traces de lutte. Au sol gisait une azoha inconsciente, une autre épouse de Miel sans doute. Émersande se tenait au-dessus, tenant en joue son propre époux, à demi comateux. 

— Que s’est-il passé ? demanda Nana.

— El a fait tuer mon fils, révéla Émersande, la voix étouffée de rage. Mon pauvre Hémoée. 

Les données dans l’esprit de Nana se relièrent entre elles, formant un schéma logique. Vélinel avait eu raison. Le fils de l’Interrac avait servi de point de pression. Burrhus n’avait pas anticipé les conséquences de ce sacrifice. 

— Un sacrifice nécessaire, souffla alors Miel

— Traitre ! s’exclama Émersande. Tu ne vaut pas mieux que le Porteur de Lumière ! Que crois-tu qu’el a dit lorsqu’el a poussé ta mère dans un chaudron !?

Nana sourit, amusé. 

— Burrhus nous avait promis l’asile ! Dans un endroit où jamais les éléites pourraient nous retrouver ! 

— Ah bon ? fit Nana, faussant l’étonnement. Où donc ?

— El avait promis un abri à tous nos enfants, pour protéger leurs âmes, leur innocence ! continua Émersande. El avait promis que Sicad serait sauve et nos maris aussi ! Mais el nous a trahis ! El a fait venir Nukvah, cette abomination ! Pour tout détruire !

— Ce sont les Interracs qui ont envoyé Nukvah ici, corrigea Miel. Pour protéger le contenu des monolithes…

— Burrhus savait cela ! El a fait pression sur Nakirée en mettant la vie de mon pauvre Hémoée en jeu ! Miel ! Tu es immonde ! Immonde ! Tu as donné un enfant à Nakirée juste pour le manipuler ! Et par amour pour toi, el a accepté ! El t’a fait confiance ! Et moi aussi !

— Émersande… Pense à la cause… souffla Miel. Nous n’avons pas pu tout maîtriser… 

— Toi, tu ne penses qu’à tes petites ambitions de roitelet ! Tu n’as aucune considération pour la vie des autres ! Tu as sacrifié tes sujets, tes âmes ! Félicitations ! Tu es le roi d’un tas de cendres ! 

Miel gémit, entre rage et douleur. 

— Bien, soupira Nana en regardant l’ange déchu. Une belle brochette d’hérétiques. Aller ! On les emballe, et on se tire !

Émersande hurla de rage et tira sur Nana. Le tir luminique rebondit sur son filet de sang. Les miliciens la saisirent et la neutralisèrent, définitivement. 

— Épargnez les enfants, souffla Miel, à demi-conscient. 

— Nous verrons, avertit Nana. Si la graine de l’hérésie est implantée dans leurs esprits, nous n’aurons pas d’autres choix que de les éliminer. Pareil pour vos azohim. 

— Prenez-moi… Pas elles… Par els… 

— Vertu ! clama alors Xeirel, s’adressant à Nana. Leur corruption est évidente ! Laisse nos lames purifier leurs âmes ! Laisse la Vengeance prendre place !

Nana saisit son filet de sang et resserra les liens. Les miliciens grimacèrent. 

— On se calme, ordonna Nana. On se calme, et on m’obéit. 



Les séraphins-gardiens du gynécée royal se précipitèrent dans les quartiers de l’honorée tante Ophélia. 

— Honorée tante, vous nous avez appelés ? HA !

Là, els retrouvèrent l’azoha prostrée, devant le cadavre de l’évêque Burrhus de Sicad. 

— Oh par EL ! Monseigneur ?

Les séraphins analysèrent Burrhus. Son halo était éteint. Son corps était inerte. Il n’y avait pas de doute. El était mort. 

— Que s’est-il passé ?! 

Ophélia, tétanisée, ne répondit pas. Les séraphins insistèrent avec de moins en moins de révérence, mais rien à faire. Alors els évacuèrent l’azoha. Els la couvrirent d’un voile intégral et la menèrent dans leurs propres quartiers. Sous le choc, el se laissa faire. 

Pour évacuer le cadavre, les séraphins firent venir un de leurs ophanim. Ce dernier attira l’attention des azohim et des enfants du gynécée lorsqu’el y pénétra. Arrivé sur la scène du crime, el ouvrit une dimension-poche, où les séraphins cachèrent le corps. Ce dernier fut ensuite apporté à une vertu-coroner. 

En attendant les résultats de l’autopsie, l’Ecclésia ordonna une analyse de la mémoire d’Ophélia. L’azoha, mutique, fut conduite dans les quartiers de l’inquisition. 

L’endroit était immense, sculpté dans le marbre noir, couleur du Jugement. Des brasiers grondants crépitaient, suspendus au plafond par des chaines d’or. Dans les larges couloirs, d’innombrables séraphins aux mines sévères circulaient, entourés de nuées d’ophanim, prêts à déceler la moindre trace d’hérésie, de déviation au Grand Dessein. Els fusillèrent Ophélia du regard, mais l’azoha ne réagit pas. 

Ici, l’air était chargé d’encens, mais également teinté de l’odeur âcre de la peur. Les murs étaient ornés de sombres peintures murales représentant des scènes où de glorieux séraphins enflammés illuminaient les foules. Des statues d’inquisiteurs jugeaient silencieusement tous ceux qui passaient. Les gardiens du gynécée frémirent en passant devant des portes scellées, gardées par des puissances de la Milice du Jugement Enflammé, Derrière ces portes, les inquisiteurs faisaient leur œuvre, extirpant de sombres secrets d’hérétiques.  

Ophélia et ses gardiens furent escortés jusqu’à l’une de ces portes. Els entrèrent alors dans un laboratoire peuplé de chérubins en combinaison noire. Leurs centaines d’yeux scrutèrent Ophélia avec une curiosité froide. L’azoha fut emmenée dans une salle, entièrement dévêtue et auscultée de la tête aux pieds par des techniciens. Els l’allongèrent sur une table en acier et se connectèrent à son système pour effectuer un contrôle technique de son corps et de son esprit. Els ne décelèrent aucune anomalie. Alors els analysèrent sa mémoire, passant en revue chaque image que ses yeux avaient capté, chaque son qu’elle avait entendu, retraçant tout ce qu’elle avait vécu ces derniers jours. 

Le lendemain, un rapport fut envoyé à Monseigneur Montseron. 

“Conclusion de l’analyse mémorielle. Michaël Fitzarch a provoqué la mort de l’évêque Burrhus dans un geste d’auto-défense. L’azoha Ophélia a été témoin de la scène. Elle a échangé avec l’évêque Burrhus juste avant l’incident. Ces échanges suggèrent des entrevues préalables entre elle et le séraphin, dont aucune trace ne peut être trouvée dans la mémoire de l’azoha. Analyses supplémentaires nécessaires pour déceler des poches de mémoires dissimulées. Suite à l’analyse des échanges, nous décelons une corruption de type V.”

Montseron poussa un râle étouffé, la gorge nouée. La situation de l’azoha n’était plus entre ses mains. El se connecta au réseau EL, et contacta le cœur de l’Ecclésia, la Couronne de Kether. 

 



Pour la première fois depuis ce qui lui sembla être des années, Michaël glissa son esprit librement dans le réseau EL. Ainsi, el visita la ruche qu’était le Sanctuaire de Kokab.

La première chose qu’el perçut fut les spots de propagande qui noyaient le réseau. Els diffusaient une musique épique, qui faisait vibrer les halos des élohim. Mais ces derniers n’étaient pas emportés par l’enthousiasme. Au contraire. Nombre d’entre els se rassemblaient et envoyaient des vibrations colériques. Curieux, Michaël se connecta aux publicités. Elles affichaient le Gueb, le désert rouge qui couvrait le royaume de Guebourah, sous son ciel bleu électrique, nimbé de ténèbres. Sur une musique inspirante, une nuée de vertus partait vers un front obscur, celui de l’Abysse. 

“Nobles élohim de Hod. Envoyez vos troupes sur le front Abysse-Guebourah. Contribuez au Grand Dessein”

Michaël fronça les sourcils. La tournure de phrase était étrange, mais délibérée. Comment ça “envoyez vos troupes” ? Pourquoi pas “partez avec vos troupes” ? Les command’ailes ne partaient pas avec leurs propres vertus ? 

Michaël observa la colère des élohim, constata le silence des nobl’ailes, et comprit comment l’archange-roi Daniel avait conclu ses négociations avec Guebourah. El avait accepté de sacrifier la vie de son peuple, mais avait fait en sorte de préserver celle de ses nobles, et leur précieuse graine. 

Non mais je rêve…

Les hodiens, aux esprits libres et opiniâtres, n’avaient pas tardé à réagir. Le peupl’aile manifestait, scandant leur indignation. Certains nobl’ailes les soutenaient, prêts à partir avec els à Guebourah. Mais la grande majorité du gratin hodien gardait bien sa langue, ignorant le chaos. 

Michaël étendit son exploration du réseau EL, sortant du Sanctuaire. Au-dehors, l’agitation était bien pire. Des nuées de millions d’élohim déferlaient dans les avenues aériennes, bloquant le trafic, envahissant les chorales. Michaël soupira. À quoi Daniel s’attendrait-el en prenant la décision de sacrifier le peuple, sans envoyer leurs command’ailes les guider sur le ciel de bataille ?

Michaël se déconnecta du réseau, énervé, dégouté. El retrouva sa chambre aux murs ocre et aux vitraux colorés, décorée de soiries. Depuis que la Milice l’avait relâché, il y a une semaine, el avait enfin reçu un traitement digne de son rang. El était assigné en résidence ici, dans une suite située dans le domaine royal, en attendant son retour au sein d’Ennead. Michaël avait tenté de contacter Raphaël, en vain. Brenna non plus ne répondait pas. Que tramaient-els ? Combien de temps Michaël allait-el devoir attendre avant de pouvoir reprendre le travail ?

Malgré son impatience, la jeune vertu appréhendait son retour dans sa chorale. Après tout ce qui s’était passé, Michaël se sentait trahi, abandonné, sacrifié. El ne savait pas encore comment el se sentirait lorsqu’el retrouverait son archange. Comment ce dernier allait-el l’accueillir ? Et les autres ?  Michaël pensait aussi à sa mère. Qu’allait-elle devenir ?

Parfois, Michaël se mettait à trembler, lorsque les images de Burrhus l’assaillant lui revenaient brusquement. La vertu s’empressait de repousser ces souvenirs loin de sa conscience, tissant sur son propre halo des thaumaturgies d’apaisement mental. 

Le dixième jour, Michaël reçu une visite, et non des moindres. Celle de l’évêque Montseron. C’était el qui avait supervisé sa première pénitence, dans le transept de la Miséricorde, avant de le livrer à Burrhus, dans le transept du Jugement. 

Montseron ausculta Michaël du regard. Le jeune Fitzarch était drapé dans une robe de soie bleu pâle, ses longs cheveux noirs rassemblés en une tresse. Malgré sa beauté, la fatigue et l’effroi étaient marqués sur son visage. Ses yeux gris étaient vitreux, ses traits tirés. 

— Vertu Michaël, comment allez-vous ? 

La vertu en question souffla par le nez, agacé, outré. 

— Que me voulez-vous ? Êtes-vous venu me présenter des excuses ? 

Montseron grommela. 

— Vous m’avez livré à un séraphin venu me tuer, rappela Michaël. 

— Burrhus n’avait pas à se faire justice el-même, concéda Montseron. 

— Pourtant vous m’avez jeté entre ses crocs. 

— Non, affirma Montseron. El devait appliquer le jugement de l’Ecclésia. Et ce jugement n’appelle pas au meurtre. El a de toute évidence été emporté par un besoin de vengeance disproportionné. El vous pensait responsable de la destruction de son évêché, de Sicad. 

— N’est-ce pas pour cela que vous m’avez livré à el ? Parce que j’ai détruit Sicad ? À moi seul !

Montseron ne répondit pas, la mine crispée par l’agacement. 

— Non… continua Michaël. Vous avez juste utilisé le scandale autour de ma personne pour pousser vos griefs contre Ennead. 

Montseron grogna, retenant un mépris colérique. 

— C’est pour une bonne raison que les chorales de vertus vous tiennent à distance, croassa Michaël. Vous les séraphins n’hésitez pas à trainer les gens que vous n’aimez pas dans vos cathédrales pour les y torturer jusqu’à leur soumission. Vous ne faites pas ça pour combattre les hérésies, mais pour maintenir votre influence politique. 

— Tsss, fit Montseron. Vous êtes irrécupérable. Votre dévoiement est total.  

— Voyez. J’appuie sur un point sensible et me voilà un hérétique. 

— Votre pénitence n’est pas terminée, gronda Montseron. 

— Pardon ?!

— Vous effectuerez une marche de pénitence pour rejoindre votre chorale. Après cela, vous serez libre.

Michaël resta immobile, transi d’indignation. 

— Ma pénitence est terminée ! insista-t-el. J’ai assez payé ! 

— Toute pénitence finit par une marche vers la chorale, expliqua Montseron. C’est la tradition. Vous partirez de l’Ecclésia et vous traverserez le centre-ville pour rejoindre le siège de la Chapelle des Vertus. 

Michaël se mit à trembler, stupéfait. 

— Cela… cela me prendra une éternité ! haleta-t-el. 

— Quelques années tout au plus. Vous passerez au travers de plusieurs raccourcis, ouverts par nos ophanim. 

— Vous n’avez pas le droit de me faire ça !!

— Ce n’est pas moi qui aie insisté pour cela, révéla alors Montseron. 

— Hein ?

— C’est Ennead qui a validé la durée, l’itinéraire. C’est à votre archange Raphaël qu’il faudra vous plaindre. 

— Vous mentez !

Montseron secoua la tête, désabusé. Michaël, poussé par la colère prit un oreiller sur sofa de son salon et le jeta sur le grand séraphin. Ce dernier leva les yeux au ciel et se détourna de la vertu pour sortir d’ici. 

— Monstre ! s’écria Michaël, les larmes aux yeux. 

Montseron reçut un autre oreiller dans le dos. El s’immobilisa, se retourna.

— Une dernière chose, dit-el. 

Michaël, prêt à déchainer sa rage, se stoppa. 

— Votre mère a été confiée à la Couronne de Kether, annonça Montseron. 

— Quoi ? Pourquoi ?

— Burrhus l’a corrompue. Elle doit être purifiée avant de pouvoir retrouver le gynécée. 

Michaël fronça les sourcils. Déconcerté, el laissa Montseron s’en aller. Le séraphin partit, ravalant en grondant son mensonge. 

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